Abandon du segment A: virage- contraint-vers le luxe?

Elles ont popularisé l’automobile, démocratisé la mobilité individuelle, réduit les distances et ouvert le champ des possibles à nombre d’individus, inspiré des vocations ou gravé tant de souvenirs dans nos mémoires au fil des décennies. Elles, se sont les petites voitures du segment A, accessibles, sans chichis, mais ô combien importantes pour attirer les jeunes à l’automobile et les fidéliser à une marque. Or, plusieurs marques ont tour à tour annoncé leur abandon dans les prochains mois et années lorsque les modèles actuels de ce segment seront en fin de cycle. A tout le moins en thermique, la faute à une rentabilité limitée depuis plusieurs années et devenue aujourd’hui insuffisante en raison des exigences de plus en plus sévères de dépollution impliquant des solutions techniques onéreuses.

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Certes, chez le Losange, la nouvelle Renault 5 électrique reprendra d’une certaine manière le flambeau. En apparence seulement, car annoncée aux alentours des 20000

euros, la « 5 » nouvelle génération sera offerte au double du premier prix de la Twingo.
Les deux dernières générations du modèle n’ont d’ailleurs pas rencontré le même succès que la première de 1992, écoulée à plus de 2,6 millions d’exemplaires. Depuis 2014, Renault fabriquait la 3e génération de sa puce des villes en association avec le groupe Mercedes-Benz en Slovénie, aux côtés de la gamme Smart. L’allemande et la française partageaient les mêmes dessous afin de réduire les coûts. Depuis, le groupe allemand a transmis la destinée de sa marque au chinois Geely, sonnant à terme le glas de la Twingo sous la forme actuelle, devenue impossible à rentabiliser.

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Le constat est similaire au sein des autres grands groupes européens. Opel a, depuis 2019 et le rachat par PSA, retiré de son catalogue les Adam et Karl. L’accord liant PSA – intégré depuis à Stellantis – et Toyota pour produire les Toyota Aygo, Peugeot 108 et Citroën C1 est désormais caduc. Les Françaises ont tiré leur révérence, l’Aygo a cédé sa place à l’Aygo X, crossover de poche récemment présenté. Dans le groupe Volkswagen les 3 puces des villes ne sont qu’un souvenir : dans le sillage de la Seat Mii, c’est sa cousine tchèque la Skoda Citigo qui est sortie du catalogue. La VW up ! fait encore un peu de résistance, mais elle se sait, elle aussi, condamnée.

Rentabilité insuffisante

C’est un curieux paradoxe : bien que les petites voitures urbaines se vendent plutôt bien en Europe – 1,2 million d’exemplaires (env. 8% de part de marché) par an jusqu’en 2019, avant de chuter comme l’ensemble du marché d’environ 30% en 2020 – les faibles marges dégagées et surtout leur moyenne d’émissions de CO2 élevée pèsent lourd dans les finances. Avec des émissions de l’ordre de 110 à 120 g/km alors que la catégorie du dessus, bénéficiant de plus en plus de l’électrification, va de 0 g/km (électriques) à environ 100 g/km (hybrides), les Twingo et consorts ne peuvent plus régater. Elles se retrouvent au-delà des limites d’émissions prescrites et se voient lourdement impactées par les politiques de malus et autres pénalités CO2. Bien sûr qu’il est possible, techniquement, de recourir à l’électrification, mais le coût effectif engendré est incompatible avec leur positionnement tarifaire, sans compter des exigences de sécurité. Dacia s’y essaie avec la Spring, mais la polyvalence limitée du modèle restreint pour le moment une diffusion à grande échelle.

L’exemple de la Fiat 500

Tournons-nous vers l’Italie avec l’exemple de la Fiat 500. Lancée en 2007, l’inoxydable « pot de yaourt » nouvelle génération s’est écoulé à plus de 2,5 millions d’exemplaires jusqu’à aujourd’hui. Elle jouit toujours d’une cote de popularité sans précédent, caracolant en tête des ventes en Europe. Très vite, au travers de séries spéciales et la résurrection de la marque Abarth, la Fiat 500 s’est positionnée dans le haut du panier des citadines avec des tarifs plus élevés que la concurrence. Elle a trouvé sa clientèle, plus aisée que la moyenne du segment.
En 2019, la marque de Turin épure sa gamme en recourant à une seule et unique mouture microhybride, en attendant le lancement en 2020 de la 500e, 100% électrique. L’an prochain, la 500 Hybrid disparaîtra définitivement de la gamme. 
Avec sa 500e, Fiat a choisi une stratégie digne des premiums ; à commencer par les tarifs, débutant dès 25000 euros (27000 francs suisses), soit plus de 50% plus haut que le premier prix des modèles thermiques en 2020. En outre, Fiat a, pour l’heure, limité sa capacité de production de 500e autour de 100000 unités par an contre 200000 pour son homologue thermique. Voilà la recette que les constructeurs sont obligés d’adopter pour garder la tête hors de l’eau : produire moins et vendre plus cher.

Des règles du jeu contraignantes

Rappelons enfin que les conditions-cadres sont appelées à encore se durcir à l’avenir. Aux objectifs de 95 g/km de CO2 déjà en vigueur s’ajoute la baisse imposée de 15% en 2025 et 50% (contre 37,5% avant la COP21 de Paris) d’ici à 2030, en attendant l’abandon total des motorisations thermiques en 2035. Ceci n’augure rien de bon, car le segment supérieur, dans lequel on retrouve entre autres les Renault Clio, Peugeot 208, VW Polo et Citroën C3, commence à souffrir des mêmes maux. Et ce ne seront ni leurs volumes de ventes ni leur image qui les épargneront lorsqu’il s’agira de passer sous les fourches caudines des comptables. D’ailleurs, les premiums subissent le même sort puisque Audi a d’ores et déjà annoncé l’arrêt prochain des A1 et Q2, la marque préférant développer sa gamme par le haut, afin de générer plus de marge. Stratégie identique avec un très fort biais vers le luxe assumé du côté de Mercedes-Benz chez qui les Classe A et B ne seront pas renouvelées une fois arrivées en fin de cycle.

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Dès lors, il convient de se poser la question si l’automobile n’est pas en train de se « gentrifier ». Le marché du neuf sera accessible à une minorité, les autres se verront contraints de se replier sur le marché de l’occasion. A l’échelle européenne, le marché de l’occasion voit la part des modèles de plus de dix ans augmenter, réalisant 53% des transactions en 2020. 

Ce déclin de la catégorie des voitures accessibles ne résulte pas de froides stratégies d’entreprises, mais est la conséquence directe de politiques publiques menées sans grand discernement. L’électrification est pour l’heure la seule réponse qu’ont à leur disposition les constructeurs pour contrer la pression exercée par les autorités nationales et supranationales afin de réduire l’impact écologique de leurs productions. Ces règles du jeu imposées accentuent l’exclusion d’une partie de la population du marché du neuf en raison de tarifs élevés. Sans parler de la diminution, voire l’abandon, des mesures d’accompagnement étatiques en faveur d’une transition vers l’électromobilité, faute de budget. Les constructeurs sont bien évidemment conscients de ces enjeux, mais leur marge de manœuvre s’amenuise inéxorablement.

Pari risqué

Le virage vers plus de luxe est-il inéluctable et gagnant ? Seule l’expérience livrera son verdict dans quelques années. Mais d’autres questions émanent en corollaire, comme la casse sociale que ce repositionnement provoquera indubitablement dans l’industrie, car moins de volumes sous-entend la nécessité de moins de moyens de production. Plus globalement, qu’en sera-t-il aussi de l’acceptance de l’automobile vue comme objet de luxe par la société à l’avenir ? Enfin, l’abandon des moteurs thermiques en Europe dès 2035 impliquera également une double dépendance à un marché comme la Chine ; il gagnera encore en importance tant en termes de débouchés commerciaux que du point de vue de l’approvisionnement en technologies et matières premières pour l’industrie automobile européenne. Le risque devient dès lors systémique.

Bien entendu, les nouveaux modes de consommation de l’automobile comme l’autopartage, les services tels que Mobilize ou Lynk qui pratiquent la location longue durée « all-inclusive » (financement, taxes, assurances et entretien compris dans une seule mensualité) sauront apporter une solution pertinente, mais en majorité dans les zones urbaines. Les régions périphériques demeurent les parents pauvres de cette mue de l’automobile. Puisse le vœu de Luca de Meo, de démocratiser la voiture électrique avec la nouvelle Renault 5, être entendu. A condition que les écueils de l’approvisionnement et l’infrastructure électriques soient contournés.

Shutterstock/Audi/Fiat/Hyundai/Kia/Mercedes-Benz/Renault/GIMS/JM

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