Une auto est aussi durable, bio et… bientôt vegan?

Les débats enflammés autour de la mobilité individuelle ont tendance à occulter les progrès faits par l’industrie automobile en matière de durabilité. Bien sûr, les émissions locales de CO2, bien qu’en baisse de près de 20% en Suisse depuis 1990 selon l’OFEV (Office fédéral de l’environnement), restent élevées; 32% sont générées par le transport de marchandises et de personnes. A l’échelon européen, la proportion pour les transports atteint 27% des émissions totales de CO2, dont près des trois-quarts sont dues au trafic routier. 

Or, le secteur contribue aussi aux réductions d’émissions, à commencer par les systèmes de propulsion. L’électromobilité apporte une première réponse à cette problématique, l’hydrogène est une réalité, les systèmes de dépollution des véhicules thermiques sont de plus en plus sophistiqués et efficaces, tandis que le développement des carburants de synthèse est à l’orée d’une industrialisation. Ceci pour ne citer que les aspects « visibles » d’un véhicule.

Parmi les efforts consentis par l’industrie automobile, il convient aussi de considérer les ressources utilisées pour la production de véhicules. Et sur ce point, peu de domaines industriels peuvent se targuer d’avoir autant progressé que l’automobile. Saviez-vous que le taux de recyclage d’une voiture est passé de 70% en 1998 à 95% aujourd’hui? C’est un record pour un objet si complexe technologiquement, alors que le taux pour le verre est de 96%, 83% pour le PET et seulement 70% pour les piles.

Des déchets revalorisés

La masse demeure une contrainte de taille dans la conception d’un véhicule. La quantité d’équipements de sécurité et les nouvelles propulsions, bien que « propres », pèsent lourd. Les batteries d’une voiture électrique pèsent deux à trois fois plus qu’un moteur thermique. Il faut donc alléger au maximum les autres composants voire la structure afin de ne pas produire une voiture zéro émission lourde et incongrument gourmande en énergie.

Outre l’utilisation de matériaux recyclés depuis plusieurs années, les constructeurs ont développé des solutions d’allègement qui incluent la notion de durabilité. Ils ne font pas seulement appel à des matériaux hautement techniques tels que le carbone, les polymères renforcés de fibre de carbone (CFRP), l’aluminium ou le titane, mais revalorisent autant que possible des déchets végétaux pour des éléments de confort ou d’esthétique. Ford est précurseur en la matière; le concept ne date pas d’hier puisqu’il remonte aux débuts de la marque en 1903 pour la fabrication de tapis. Henry Ford s’approvisionnait en déchets de culture destinés à l’incinération auprès des agriculteurs des environs de Detroit, afin de les revaloriser. Aujourd’hui, les coques de soja et de noix de coco, la cellulose, les pelures de fruits et légumes, les résidus de distillation ou même les billets de banque caduques broyés entrent dans la composition d’isolants, mousses et autres rembourrages. Ce sont ainsi plusieurs milliers de tonnes de pétrole qui sont économisées chaque année, en plus d’avantages non-négligeables en termes de poids sur les véhicules et de gain temps et d’énergie lors de la production des pièces.

Toutes les marques font usage de matériaux recyclés ou revalorisés à différents niveaux. En s’inscrivant en amont de la production, la durabilité ne concerne pas seulement des éléments techniques d’une voiture. Chez Cupra, par exemple, elle fait partie du cahier des charges dès le développement du véhicule, dans le design intérieur. Cette préoccupation fait d’autant plus sens sur un véhicule électrique, par définition exempt d’émissions directes à l’utilisation. Amanda Gomez, responsable du « Sustainable Design » pour Cupra nous explique la démarche que la marque a initié sur sa Born, aussi bien sur l’agencement que la sellerie, dont l’étoffe est réalisée à partir de bouteilles PET.

Outre Cupra, l’initiative Seaqual fournit Fiat avec son tissu dont les fibres sont fabriquées à partir de plastique récupéré sur les plages et en mer. Au-delà du « simple recyclage » de déchets, l’activité de Seaqual s’inscrit dans une logique de cercle vertueux. Son activité implique aussi bien les pêcheurs que les ONG et initiatives privées de nettoyage des plages et océans ou encore les laboratoires de recherche ainsi que les autorités. Chacun tire à sa manière et à son niveau un bénéfice de cette action.

Le savoir-faire helvétique

La Suisse, qui abrite les sièges et bureaux de recherche de sous-traitants automobiles d’envergure internationale n’est pas en reste. A titre d’exemple, l’entreprise fribourgeoise Bcomp développe des panneaux en matériaux naturels thermoformés pour l’agencement des habitacles des futurs modèles du groupe Volvo. Elle utilise aussi la compétition comme laboratoire; l’entreprise fournit les baquets de Formule 1 à McLaren, des éléments de carrosserie pour Porsche dans ses championnats monotype ou encore la coque de base de l’Odyssey 21, le buggy utilisé dans le championnat de rallye-raid électrique Extreme E. Le tout en fibres naturelles. Ces phases expérimentales et premières applications en compétition précèdent bien évidemment une mise en œuvre sur les véhicules de série qui ne saurait tarder.

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Ces nouvelles matières légères satisfont aux mêmes critères de qualité, durabilité et sécurité que les matériaux de synthèse. Grâce à leur utilisation, il est possible de diminuer jusqu’à 30% la masse de plastique utilisée pour une voiture. Ce qui bénéficie à la consommation et aux rejets de CO2. La fabrication de ces pièces s’affranchit aussi des ressources fossiles; sur l’ensemble de leur cycle, l’empreinte carbone diminue de 75% et les coûts de 30% comparativement aux matériaux synthétiques.

L’intérêt est tel qu’en mars dernier Bcomp a bouclé un second round de financement de 32 millions de francs suisses auprès d’investisseurs, dont Volvo, BMW, Porsche et Airbus via leurs filiales d’investissement respectives.

Les peintures aussi

La filière des peintures et laques évolue également. L’utilisation de bases hydrosolubles est désormais la norme auprès de tous les fournisseurs et constructeurs depuis près de 30 ans dans le milieu automobile. Cette évolution a permis de diminuer de 80% l’utilisation de solvants d’origine chimique, fortement polluants, tout en augmentant la qualité du produit fini. Mais la technologie permet aujourd’hui d’aller encore plus loin.

Le groupe BMW est le premier constructeur automobile au monde à utiliser dans ses usines européennes des peintures mates fabriquées à partir de biomasse au lieu de pétrole brut. En outre, les usines BMW de Leipzig et Rosslyn (Afrique du Sud) utilisent également des protections anticorrosion produites de manière durable. Les matières premières renouvelables telles que les biodéchets ou les déchets des stations d’épuration servent de matière première pour les peintures. Les économies de CO2 déterminées dans un processus certifié par le TÜV s’élèveront à plus de 15000 tonnes d’émissions de CO2 d’ici à 2030.

Le processus de production développé par BASF permet de remplacer les matières premières issues du pétrole, comme le naphte, par des substituts renouvelables provenant de déchets organiques, et ce dès les premières étapes de la production de peinture. Cela permet non seulement de réduire la consommation de ressources fossiles, mais aussi d’éviter les émissions de CO2 liées à la production, au transport et au traitement du pétrole brut.

Les peintures de protection contre la corrosion et les peintures mates utilisées dans les usines de Leipzig et Rosslyn sont chimiquement identiques aux peintures utilisées précédemment, avec les mêmes propriétés que les revêtements de carrosserie fabriqués de manière conventionnelle. Étant donné que les revêtements biosourcés et conventionnels sont produits sur la même ligne, BASF adopte une approche de bilan globale certifiée en externe. Le processus de fabrication durable permet de réduire de plus de 40 % les émissions de CO2 liées à la production de peinture.

A l’écoute des préoccupations de la clientèle

Une autre tendance a émergé en Californie et s’étend maintenant en Europe. La mouvance vegan a conduit Bentley à explorer, avec la société italienne Vegea, l’utilisation de nouveaux matériaux pour la sellerie de ses intérieurs, sans faire de compromis tant sur le rendu que la qualité dans le temps. Il est vrai que le client adepte de véganisme peut difficilement concevoir qu’une quinzaine de peaux ont servi à tapisser son habitacle, aussi sublime soit-il. Et ce quand bien même la marque anglaise veille précautionneusement à la durabilité des élevages bovins auprès desquels elle se fournit, tous dévolus en premier lieu à la production de viande.

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Le groupe Volkswagen, maison-mère de Bentley, explore peu à peu ces nouvelles techniques pour l’ensemble de ses marques. Nous avons vu plus haut l’engagement de la marque Cupra. VW avait présenté, sur le concept anticipant l’ID.4, une sellerie à l’apparence du cuir mais confectionnée à base de déchets résultant du pressage de pommes. Baptisé Apple Skin, ce matériau n’a pas encore rempli toutes les exigences pour une application industrielle. En attendant, la gamme ID de VW, tout comme le Taycan de Porsche, par ailleurs, peuvent être commandées avec un intérieur totalement dépourvu de cuir. Dans une gamme plus accessible, le C40 Recharge de Volvo obéit à la même logique. La grande majorité des polymères composant ces agencements sont également issus du recyclage.

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De l’utilité de la compétition

La compétition automobile, outre la recherche absolue de performance, a de tout temps servi de laboratoire d’idées. C’est d’ailleurs là que la course des 24 Heures du Mans trouve son origine. Le manufacturier de pneus Michelin a dévoilé en juin dernier, lors du Festival of Speed de Goodwood, un nouveau pneumatique qui contient 53% de matériaux durables. Encore au stade expérimental, cette gomme mélange du caoutchouc naturel pur traditionnel auquel est adjoint du noir de carbone recyclé à partir de pneus usagés, mais aussi des écorces d’orange et de citron, de la résine de pin, de l’huile de tournesol et de l’acier recyclé. La recette de ce mélange permet d’obtenir un pneumatique qui offre exactement les mêmes prestations en termes de performance et sécurité qu’une gomme conventionnelle.

Rappelons que la firme de Clermont-Ferrand ambitionne, à l’horizon 2050, de fabriquer tous ses pneus exclusivement à partir de matériaux durables.

Toutes ces évolutions amenées à se généraliser dans les mois et années à venir n’ont rien d’anecdotiques, quand bien même différentes études établissent la part du poids des matériaux et de leur fabrication dans l’empreinte carbone du véhicule sur toute sa durée de vie entre 6 et 25%. La part majoritaire reste bien évidemment liée à l’énergie utilisée pour se déplacer. Mais comme chaque gramme épargné compte, chaque effort dans ce sens revêt une importance capitale.

Shutterstock/Polestar/Ford/BComp/BMW/Bentley/Porsche/Michelin/GIMS/JM

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